Si les progrès sur l’égalité salariale, sociale et professionnelle entre hommes et femmes ont bondi ces dix dernières années, une industrie reste à la traîne. À l’aube de 2019, seules deux super-héroïnes des studios Marvel et D.C ont obtenu la chance de voir leur nom en tête d’affiche au cinéma. Ce n’est pas encore ça, mais c’est un début qui mérite qu’on s’y attarde.
Carton au box-office, échec en représentation
« Où sont les femmes ? » À l’heure où Patrick Juvet criait son désespoir, l’industrie des super-héros n’avait pas encore pris le pouvoir du box-office. Pourtant, en 2018, ses paroles résonnent toujours. En terme de bénéfices, le Marvel Cinematic Universe et le DC Extended Universe ont déjà battu des records, s’écharpant à coups de « qui aura le plus de super-héros en tête d’affiche en 2022 ». Deux requins se partageant des milliards de dollars de recettes. Mais « spoiler alerte », Marvel sera probablement sur le haut du podium si l’on en croit sa programmation hallucinante. Comme à Noël on se gave de bûche glacée alors que notre estomac hurle que la place est déjà prise, les studios « made in comics » nous saturent sans craindre un retour négatif. Iron-Man, Batman, Superman ou encore Thor nous divertissent, nous scotchent à notre écran, font rire, agacent… Autant d’adjectifs pour dire que notre taux d’endorphines monte en flèche devant l’action d’un film de super-héros.
On en veut toujours plus et Marvel comme D.C ont bien compris comment satisfaire les spectateurs affamés que nous sommes. Enfin, pas tous les spectateurs à vrai dire. 20 pour Marvel et 11 pour D.C, c’est le nombre de films sortis sur grand-écran depuis le lancement de leur univers respectif (En 2008 avec Iron Man). Total des films portés par une femme : 1. Et c’est sans compter sur les films du genre sortis avant 2008. 3% seulement en 10 ans. Les mathématiques ont beau nous donner des maux de tête express, rien de plus simple pour comprendre que la femme n’a pas encore sa place dans le genre super-héros. Et pourtant, les bandes-dessinées regorgent de plus d’une centaine de personnages féminins à fort potentiel.
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Les chiffres ne mentent jamais
Martha Lauzen dirige le Centre d’étude des femmes dans la télévision et le cinéma à l’Université d’État de San Diego. Son équipe a analysé la position de la femme dans l’univers cinématographique depuis 1998. En 2017, elle prouvait que les protagonistes féminins figuraient majoritairement dans des comédies (28 %), suivi des drames (24 %), des films d’horreur (17 %), des longs-métrages d’animation (14 %), des films de science-fiction (14 %) et en petit dernier, des films d’action (3 %). On apprend aussi que les femmes ne représentent que 7% des réalisateurs des 250 films les plus rentables de 2016. Elle prouve ainsi que Hollywood fonctionne encore bien loin de la parité, même si des signes mineurs d’amélioration ne sont pas à ignorer.
Les prémices d’un girl-power pas totalement assumé
Si Marvel caracole en tête du nombre de sorties, c’est bel et bien D.C qui a plongé le premier dans le mouvement girl-power. Grâce à la sortie de Wonder Woman le 7 juin 2017, le monde a enfin pu voir une super-héroïne à l’oeuvre sans l’ombre d’un homme venu se glisser dans le champ de la caméra. Le film, réalisé par Patty Jenkins – l’une des quatre femmes à avoir dirigé un film d’action doté d’un budget de plus de 100 millions de dollars avec Kathryn Bigelow (K-19 : Le Piège des profondeurs), Lana Wachowki (Jupiter: Le Destin de l’univers) et Ava Duvernay (A Wrinkle in Time) – constitue un premier pas en avant, quand le cercle très fermé des cinéastes aussi souffre du manque de présence féminine. Et quelle réussite ! Non-content d’avoir engrangé plus de 821 millions de dollars de recettes, les critiques l’ont encensé et élevé au rang de meilleur film de l’univers D.C.
Une voie encourageante, qui a poussé Marvel à programmer la sortie de Captain Marvel dès le 6 mars 2019, lui aussi réalisé par une représentante du genre, Anna Boden. Pourtant, si le DCEU ne brille pas par la force de ses personnages féminins, le MCU a quelques chevaux gagnants dans sa poche. À commencer par Black Widow, portée par le charisme de Scarlett Johansson ou encore Scarlet Witch, qui a pris de l’ampleur dans la saga Avengers grâce au jeu d’Elizabeth Olsen. Deux personnages qui ont gagné leur place dans le cœur des fans. Avant ça, force est de constater que l’intelligence de Natalie Portman, alias Jane Foster, astrophysicienne, n’a pas du tout été exploitée dans les deux premiers volets de Thor. Prenez une actrice oscarisée et donnez lui un rôle de demoiselle en détresse sous couvert d’un potentiel inexploré, vous aurez la recette d’un départ réussi. On peut s’estimer heureux que Jennifer Lawrence n’ait pas tourné le dos à son rôle de Mystique, malgré une nudité partielle qui requiert tout de même 4h de maquillage quotidien en tournage !
Égalité des salaires et body positivisme
On peut donc se réjouir que la production du film centré sur Black Widow et réalisé par Cate Shortland soit déjà en marche. De même que le deuxième volet des aventures de Wonder Woman, malgré une sortie repoussée de novembre 2019 à début 2020. Et on dit merci à Scarlett Johansson, passée maître dans l’art de la négociation. L’actrice a exigé une parité des salaires parfaite. Chris Hemsworth et Chris Evans ont respectivement empoché 15 millions de dollars pour Captain America : Civil War et Thor : Ragnarok. Il n’en fallait pas moins pour que la star de Lucy dise oui à sa propre franchise. Une révolution pour les studios Marvel, qui n’ont pourtant promis que 7 millions de dollars à Brie Larson pour endosser le rôle de Captain Marvel.
Mais on a beau saluer l’effort des studios pour (enfin) mettre la femme en position de force, Black Widow, Captain Marvel et Wonder Woman ne sont pas vraiment représentatives de la femme en 2018. Celle qui fait fi de la taille de pantalon ou de la religion. Pour pallier ce manque de représentation, Faith Herbert, super-héroïne plus-size et Miss Marvel, de confession musulmane, pourraient-elles être le symbole de la femme moderne ?
Alors que Marvel travaille déjà sur l’idée d’intégrer Miss Marvel au MCU, Sony Entertainment produit officiellement une adaptation du personnage de Valiant Comics. Cela signifie que Faith ne combattra pas aux côtés de Thor, de Captain America ou de Wonder Woman dans les univers Marvel ou DC. Et c’est une bonne nouvelle. Valiant commence tout juste à étoffer sa stratégie cinématographique et l’histoire de Faith n’est que l’un des nombreux films programmés. Faith est blonde, pétillante, totalement férue de science-fiction et… Fait du 48 ! À l’heure du body positivisme et de la popularité d’Ashley Graham, cette description correspond déjà plus à l’idée que l’on se fait de la diversité féminine. Une personnalité qu’on attend avec impatience de découvrir en tête d’affiche.
Le marketing de la super-héroïne, un pouvoir mal utilisé
Mais en parlant de tête d’affiche, c’est aussi là que le bat blesse. Car si les femmes prennent tout juste le pouvoir à l’écran, elle sont victimes d’un sexisme à peine voilé dans leurs positions statiques. Ils suffit d’analyser les affiches des films sortis ces dix dernières années pour que le problème nous saute au yeux. Que ce soit dans Les 4 Fantastiques (2ème essai), Avengers, Thor ou même X-Men, les hommes exhibent une raideur de rigueur pendant que les femmes sont aussi voluptueuses que reléguées second plan.
Prenons Scarlett Johansson sur les affiches d’Avengers et Captain America: The Winter Soldier. Face à ses camarades masculins en position de guerriers, l’accent est clairement mis sur ses courbes et ses cheveux soyeux. Et encore, c’est lorsqu’elle est présente, puisque ni Scarlett Johansson alias Black Widow, ni Elizabeth Olsen alias Scarlet Witch, n’apparaissent sur les jaquettes DVD et Blu-Ray d’Avengers : L’ère d’Ultron.
Dans Iron-Man 3 et Thor : The Dark World, Nathalie Porthman et Gwyneth Paltrow sont toutes deux représentées dans la même position, main sur le torse de leur « sauveur », la tête tournée vers l’horizon et les cheveux volants au vent. Si elles sont au premier plan, elles semblent avoir été placées là dans le seul et unique but de « sublimer » leur partenaire.
Gamora (Zoe Saldana) dans Les Gardiens de la Galaxie et Mystique (Jennifer Lawrence) dans X-Men n’échappent pas au même traitement, de nombreux bouts de tissus en moins. Là-dessus, la polémique est différente, puisque certains défendront que leur costume fait partie intégrante du personnage. Soit. Il n’empêche qu’une fois de plus, l’accent est mis sur leur galbe et non leur capacités, le regard taquin étant de mise.
Les femmes, l’avenir du cinéma
La preuve étant que tout est possible : Côté D.C, Gal Gadot apparaît en position aussi guerrière que Jason Momoa et Rey Fisher sur le poster de Justice League. Côté Marvel, s’il ne s’agit que des personnages secondaires, les présences féminines de Black Panther sont au premier plan central de l’affiche et armées jusqu’aux dents. Si l’inclusif se développe et s’impose de plus en plus dans l’action, il va falloir tout autant d’efforts dans la promotion.
La femme est l’avenir du cinéma du genre, Karie Bible, analyste de box-office du cabinet de conseil en cinéma Exhibitor Relations l’affirme à CNBC : «Les super-héros féminins devraient s’installer confortablement dans le box-office. Comme nous l’enseigne le succès retentissant de Black Panther et de Crazy Rich Asians, la diversité compte. Les femmes veulent se voir reflétées à l’écran et en position de pouvoir. Pourquoi les hommes devraient-ils avoir tout le plaisir ?». Une pique que Kevin Feige, grand patron de l’industrie Marvel, a dû recevoir. Dans une entrevue avec EW, il promet que d’ici 10 ans, il y aura plus de super-héroïnes que leur penchant masculin dans le MCU : « Avec Ant-Man & the Wasp, Captain Marvel, et bien d’autres films de ce genre dans le futur, je suis pressé d’arriver au moment où film de super-héros mené par une femme ne sera pas une nouveauté, mais une norme. Et on ne dira plus « oh, c’est un film avec une super-héroïne », mais plutôt « oh, mais qui est ce personnage ? De quoi ça parle ? ». On prend note et on en reparle en 2028.
Article rédigé par Laëtitia pour kevinragonneau.fr/blog